L’Allemagne de Friedrich à Dix

Les premiers pas dans l’exposition De l’Allemagne au Louvre déconcertent. Elle ressemble à l’essai théorique d’un étudiant studieux opérant une typologie qui vise à déployer tous les concepts attendus de l’art allemand, sans oublier le moindre poncif. Il est pourtant impossible de traiter un si vaste sujet, et les critiques ont eu beau jeu de souligner qu’il manquait tel ou tel artiste ou école, ou encore que la perspective téléologique ne pouvait que légitimer le discours simpliste d’une âme allemande vouée au nazisme. La présence des films (Leni Riefensthal sur les Jeux Olympiques de 1936, Metropolis de Fritz Lang) est elle aussi étrange : ces images sont tellement connues qu’elles renforcent la sensation de parcourir une dissertation d’étudiant…

Mais les œuvres de Caspar David Friedrich effacent facilement ce malaise. Malgré un accrochage un peu serré, la puissance des œuvres s’exprime, avec ce sublime travail sur la lumière, les couleurs et la profondeur. Caspar David Friedrich saisit le petit matin, quand le soleil se lève et  la brume commence à se dissiper. Il ose peindre des ciels roses, oranges, violets ou jaunes. Il incite à la contemplation, à suivre les individus solitaires et silencieux, vus de dos, eux-mêmes plongés dans une douce méditation. Caspar David Friedrich nous propose de regarder son œuvre, mais aussi de considérer la nature elle-même comme une œuvre d’art et de prendre le temps de s’y arrêter. Ces paysages sont ouverts vers l’infini, mais leur premiers plans sont sombres, denses, mystérieux. Une forme, être vivant ou présence mystérieuse, semble se cacher parmi les pierres, entre les racines. On cherche en vain à le distinguer, en attendant qu’un voile se lève, en tournant autour du tableau. Quand ils ne sont pas grandioses, ces paysages sont désolés : ruines antiques, tumulus, tombes, racines ou branches dénudées, anguleuses, ravins, corbeaux.

Etrangement, l’exposition passe brutalement des œuvres de Caspar David Friedrich et de ses contemporains, au milieu du XIXème siècle, à un paysage d’Otto Dix peint en 1939, pour ensuite revenir à l’épisode de la première guerre mondiale. Ce paysage ne ressemble guère au style d’Otto Dix que l’on connaît. Il l’a réalisé en 1939, alors qu’il était exilé à l’intérieur de l’Allemagne et que son art était considéré comme dégénéré. Son lever de soleil est-il un hommage à Caspar David Friedrich ? C’est à un nouveau regard sur la peinture du maître de l’expressionnisme allemand que l’exposition invite. Ainsi, les cratères des champs de bataille représentés dans ses gravures de la Premières Guerre mondiale font-elles aussi penser aux rochers et aux jeux de lumière des œuvres de Friedrich.

L’exposition aurait peut-être gagné à se consacrer à ces deux maîtres de la peinture allemande, à en creuser les influences tant esthétiques que philosophiques. Si le discours de De l’Allemagne n’est pas convainquant, les œuvres à elles seules valent largement le détour !

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